Le jaune des genêts
Enfin il fut devant le Ver Meer1, qu’il se rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu’il connaissait, mais où, grâce à l’article du critique, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient ; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu’il veut saisir, au précieux petit pan de mur. « C’est ainsi que j’aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune. »
Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, La Prisonnière
Le jaune, le rouge, deux couleurs qui s'imposent quand on avance en âge. Qui nous saisissent, nous interrogent, nous pénètrent, gagnent nos faveurs, enflent en prestige, nous remuent le cœur. Qui nous deviennent nécessaires... chacune à leur façon.
Le rouge procède par touches, par gouttes de sang, par rubis d'audace. Il nous fouette le sang, nous vivifie, nous rajeunit.
Le jaune agit par nappes. Solaire, il est lumière et chaleur, deux onguents indispensables à notre corps et à notre âme enténébrés par le poids des années, refroidis par les grisailles infinies, les bleus de jeunesse et les verts humides. Le jaune dans la nature nous éblouit et nous réchauffe par les pans de mur tapissés de lichens Xanthoria et Caloplaca, par les forsythias, les ajoncs, les talus de ficaires, les prés de pissenlits, de jonquilles, de boutons d'or, les champs de colza... et par l'inondation d'or des genêts2 en fleur au joli mois de mai.
(14 mai 2015)
1 Johannes Vermeer : peintre hollandais (1632-1675), écrit Ver Meer par Marcel Proust.
2 Il s'agit ici du Genêt à balais : Cytisus scoparius (Linné) Link.
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